Les autres confréries de pénitence et les Tiers-Ordres

 

Des confréries, appélées sodalités, existaient dèjà dans la Rome antique. Elles servaient à organiser les différents culte des Dieux païens ou celui des ancêtres. Puis, dans les derniers siècles de la République, certaines devinrent de véritables clubs politiques visant à promouvoir la carrière de différents patriciens. Suivant les évolutions de la société romaine, ces confréries connurent d'importantes évolutions mais leur principe se perpétua durant la période tardo-antique, y compris après la christianisation de l'Empire. Toutefois elles ne laissèrent que peu de traces écrites et nous ne savons que peu de chose de leur fonctionnement. Durant la période carolingienne, en 852, l’évêque de Reims Hincmar fit allusion aux confréries dans un décret synodal. Il y définissait les activités qu’il les autorisait à exercer en matière de religion : In omni obsequio religionis coniungantur, videlicet in oblatione, in luminaribus, in orationibus mutuis, in exsequiis defunctorum, in eleemosynis et ceteris pietatis officis. Elles se chargeaient d’actions de bienfaisance et d’entraide, notamment au moyen de quêtes et d’aumônes, des obsèques, de la fourniture des luminaires dans les églises,…. Une autre forme de confrérie, les Kalendæ, regroupaient le bas clergé afin de lui assurer des revenus suffisants.

 

 

I   LES FRATERNITÉS DE LAÏQUES AU MOYEN-AGE

Avant d'aborder la question de l'apparition des fraternité de laïques, il convient de définir ce que veux dire ce dernier terme. Laïque n'est pas à prendre au sens actuel, mais dans sa signification originelle. Il s'agit de personnes ou d'institutions qui n'appartiennent ni à la sphère cléricale ni au monde monastique. Ainsi des laïcs, ou des communautés laïques, peuvent-ils avoir un engagement religieux très fort, sans aucune contradiction. En fait, pour un Homme du Moyen-Age, la séparation entre profane et sacré n'avait pas de sens et les deux dimensions étaient complètement imbriquées. Autre précision, au Moyen-Age, l'individu ne se concevait qu'au travers de groupes, religieurx, familiaux, professionnels, communaux, ..., ou confraternel dont il était membre. Le plus souvent l'appartenance à ces derniers était symbolisée par tout ou partie du vêtement.

 

 

Dès le haut Moyen-Age, des communautés de prière se formèrent parmi les habitants qui vivaient autour des monastères afin de prier pour les défunts. Plusieurs exemples, aux VIII° et IX° siècles, nous montrent que des noms de clercs et de laïques  étaient inscrits côte à côte dans des Libri confraternitatum, puis des Libri memoriales, forme très ancienne d’obituaire monastique[18]. Ceux des couvents Bénédictins de Reichenau et de Saint-Gall sont les plus remarquables. Les vivants y priaient les morts à chaque date anniversaire du décès et espéraient leur protection.

Au X° siècle, les réformes des règles des différents ordre religieux cherchèrent à renforcer la clôture des moines, modifiant leurs rapports avec le monde qui les entourait. Puis, à partir du XI° siècle, la Réforme Grégorienne établit une sépareration plus stricte entre les clercs et les laïques. L'ensemble de ces changements visait à renforcer la vie de prière des religieux et à faire cesser de nombreux abus. Mais certains laïques, qui vivaient dans une grande proximité spirituelle avec des religieux,  eurent du mal à trouver leur place dans ces nouvelles règles et l'apparition des Convers, ou frères lais, ne répondit pas à leurs demandes.

C'est ainsi que se développèrent au XI° siècle de nouveaux types de confréries de prières composées de laïques. L'Ordre des Prémontrés, plus engagés dans l’action pastorale, contribuèa fortement à diffuser se type de communautés que l’on désigne sous le nom de confrérie d’intercession. Puis avec l’approfondissement de la notion de purgatoire, les Confréries des âmes du purgatoire et de la Bonne Mort se multiplièrent et firent dire des messes qui suivaient immédiatement le décès en plus des messes anniversaire. Chacun espérait que ses frères prieraient pour le Salut de son âme. Ces liens confraternels paraissaient souvent plus sûrs que ceux de leur famille. En fait, avec le retour d’une certaine prospérité au XII° siècle, le mouvement confraternel investit tous les domaines de l’activité humaine. Ainsi vit-on se multiplier les confréries de pèlerins, votives, mais aussi de justice, de métiers, de maintien de la paix, en vue d’organiser des fêtes votives, ... , certaines organisaient même le transport des marchandises sur de longues distances et les assuraient contre le vol ou les aléas climatiques.

 

 

II LES AUTRES CONFRÉRIES DE PÉNITENCES

Ce fut dans ce contexte, à la fin du XII° siècle, que se développa un nouveau type de communautés dites Confréries de Pénitence. La notion de pénitence connut alors de nouveau développement. Si elle avait été vécue comme un ensemble de privations ou des mortifications librement consenties par amour de Dieu, elle fut élargie à l’idée de pénitence comme un don de soi à l’autre. Donner de son temps ou de son argent pour aider son prochain c'est aider le Chist lui-même : Matthieu 25, 40 : "Chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces plus petits d'entre mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait." L'ensemble de ces actions allait prendre le nom d'oeuvres de miséricorde.

Les membres de ces communautés aspiraient à vivre au jour le jour l'union et le simplicité évangélique des premiers chrétiens. Certains vivaient dans des maisons communes et d'autres se retrouvaient régulièrement pour prier ensemble. Mais, contrairement aux Patarins ou aux disciples de Vaudès, ils entendaient le faire au sein de l'Eglise, sans remettre en cause ces dogmes ou la hierarchie ecclésiatique. De ce mouvement, sont issues plusieurs type de fraternités de pénitence dont voici les principales :

Les Reclus sont des hommes ou des femmes qui choisissent librement de s’isoler du reste du monde et qui vivent seuls dans de petites cellules. Apparus dès la fin du III° siècle en Orient, ce mode de vie connut un nouveau développement entre le X° et le XIV° siècles, où il concerne tant des moines que des laïcs. Diverses règles codifiaient leur fonctionnement. Lors de son engagement, le Reclus mourrait au monde et sa vie s’organisait autour de lectures pieuses, de mortifications et de travaux manuels, certains copistes célèbres furent des Reclus. Cependant afin d’éviter les excès de ce type de vie, ils furent placés sous l’autorité directe des évêques. Mais les guerres et les épidémies entraînèrent leur disparition au XV° siècle. Il ne faut pas confondre ses Reclus volontaires, qui étaient libres de quitter leur engagement, avec les enfermements forcés pratiqués par les autorités civiles et qui vont reprendre ce nom à partir du XVI° siècle.

Les pénitents communautaires ruraux sont mentionnés à partir de 1175 en Italie du nord. Il s'agissait de petites communautés agricoles dont les membres mettaient leurs biens en commun. Ils se virent confier l’exploitation de terres, souvent pauvres ou à valoriser, dépendant de monastère ou de communautés paroissiales avec qui ils étaient liés par contrat. Alternant temps de prière et travaux des champs, ils vivaient en petits groupes de quelques familles. Il s’agissait souvent de paysans libres qui, ayant vendu leurs terres, apportaient leurs biens à la communauté, renonçant à tout en cas de départ. Certaines de ces communautés prospérèrent et fondèrent des hôpitaux ou s’en virent confier la gestion. Malgré leur réussite, elles disparurent en raison de l’instabilité politique qui s’installa en Italie du nord au XIV° siècle. Appréciées du peuple, elles furent aussi souvent regrettées des autorités ecclésiastiques.

Les Béguines (branche féminine) et les Bégards (branche masculine) apparurent à Liège vers 1180. Il s’agissait de laïques qui vivaient dans des béguinages (enclos organisés comme un village au milieu des villes de Flandre et du Hainaut), en petites communautés dans des maisons particulières, ou isolés, notamment en Provence. Leur vie était vouée à la contemplation, à la mendicité et au secours des pauvres et des malades. Implantées au cœur des villes, les Béguines, beaucoup plus nombreuses que les bégards, n’étaient pas des religieuses, elles ne prononçaient pas de vœux, mais n’étaient plus tout à fait des laïques. Bien que la plupart soient restés fidèles aux enseignements de l’Église, certains groupes adhérèrent à des mouvements hérétiques ce qui suscita la méfiance des autorités ecclésiastiques voire même la répression violente et des condamnations au bûcher. La plupart des groupes finirent par adhérer à différents Tiers Ordres reconnus. Dans le nord et la future Belgique, ils se réunirent pour former de grands groupes retirés dans des béguinages, tout en gardant la plupart de leurs spécificités. Les Béguines au sens propre se sont éteintes en Belgique au début du XXI° siècle, mais certains groupes se réclament encore de leur héritage, mais sous une nouvelle forme.

Les humiliés, humiliati ou frères gris de la Pénitence se développèrent à la même époque dans le milieu des drapiers lombard. Ils portaient une tenue de drap grisâtre, ils vivaient en petits groupes, semi-retirés du monde, mais en milieu urbain. Ils pratiquaient la charité mutuelle, et l’amour du prochain. Ils encourageaient le travail manuel ponctué de réunions pieuses. Certains commencèrent à prêcher des thèses erronées et extrémistes franchissant parfois la limite de l’hérésie (une hérésie, au sens premier, est une voie erronée qui conduit celui qui la professe dans une direction dommageable pour lui et pour les autres). Afin d’éviter ces dérives, les humiliés furent réformés en 1201 et divisés en trois branches : les religieux, les laïcs vivant dans la chasteté, et les laïcs mariés. Mais avec le temps, ces communautés accumulèrent un patrimoine considérable qui leur permit de développer de véritables activités bancaires les éloignant de l'idéal de travail manuel et de pauvreté de leur début. Les Évêques et les Papes tentèrent plusieurs fois de réprimer ses abus, sans succès durable. Au XVI° siècle Saint Pie V demanda à Charles Borromée, Évêque de Milan, de les réformer à nouveau. Ce fut encore un échec. Un humilié, Girolamo Donati, dit Farina, tenta même d’assassiner Saint Charles Borromée.Le Pape finit par se résoudre à disperser les branches masculines de l’ordre en 1571. La branche féminine continua et ne s'éteignit qu'au début du XX° siècle.

- Les fraternités de Pénitents sont traitées dans l'article principal.

 

 

II LES TIERS ORDRES

Les confréries liées au Tiers Ordre franciscain. Vers 1208-1209, le jeune François d’Assise fonda avec quelques compagnons la Fraternité des Pénitents d’Assise. Ces frères mineurs, qui vivaient sous le même toit, mirent la pauvreté au centre de leur engagement. Ils ne devaient rien posséder, même en commun. Ils firent oralement approuver leur règle de vie par le Pape Honorius III. Ils se distinguaient aussi des autres pénitents en mêlant sans hierarchie les clercs et les laïques et par leur missions pastorales. Ils étaient ainsi envoyés, avec l'accord du clergé local, dans différents villages ou villes. Leur première tache était, si nécessaire, de réparer les églises des environs et de remettre en état les objets destinés à la célébration de la messe. Cela fait, ils se metaient au service des plus pauvres, voyant dans leur dénument l'image du Chris. Dans le même temps, ils prêchaient dans les rues ou dans les églises de manière imagée et dans un langage facilement compréhensible par les gens les plus simples (cela explique la prudence de Saint-François d'Assise envers une trop grande érudition des frères, craignant que cela les rende peu compréhensible du peuple).

Puis avec l'augmentation du nombre de frères et la multiplication des fondations hors d'Assise, une nouvelle règle dut être adoptée en 1223 [22]. Ces membres, les Frères Mineurs furent couramment appelés Franciscains ou Cordeliers. Si d'importantes modifications et une certaine normalisation avaient été introduites en 1223, la pauvreté restait au centre de leur vie. Désormais, si les frères ne devaient rien posséder ni en propre ni en commun, ils pouvaient accepter de vivre dans des locaux construits par des tiers pour leur usage. Mais ceux-ci devaient rester modestes, et les chapelles devaient être de taille adaptée à leur usage. Mais tout ce qui servait à la célébration de la messe devait y être très soigné selon la maxime prêtée à Saint-François d'Assise "la pauvreté s’arrête au pied de l’autel" (si l'authenticité de la formule n'est pas certaine, elle résume bien plusieurs textes de la main du saint).

Mais après la mort de Saint François d'Assise, l'ordre connut une forme de cléricalisation et ses membres laïcs furent progressivement marginalisés. Cela amena à la multiplication des confréries de laïques qui existaient autour des couvent franciscains. Par une bulle, promulguée en 1289, le Pape Nicolas IV donna à ses dernières une règle unique, créant le Tiers Ordre franciscain. Toutes ces communautés eurent l’obligation de suivre la nouvelle institution, ce qui dans les faits ne se produisit pas toujours.

 

Les confréries liées au Tiers Ordre dominicain Beaucoup de Confréries de Pénitents sont issues de groupes proches des Frères Prêcheurs : les Fraternités laïques dominicaines ou le Tiers Ordre dominicain. L’histoire de leur formation est proche de celle du Tiers Ordre franciscain, à cette différence que, contrairement à une idée très répandue, Saint Dominique Guzmàn, mort en 1221, n’en fonda directement aucune [23]. Ce n’est que dans la deuxième moitié du XIII° siècle que des communautés de laïques, déjà présentes autour des couvents de l’ordre, commencèrent à s’organiser sous les noms de Pénitents ou de Milice. On les retrouve très puissantes à Bologne, Florence ou Milan. En 1285, Muño de Zamora, supérieur des Frères Prêcheurs, leur donna une règle, très inspirée du Memorial e Propositi de 1221, fondant le Tiers Ordre dominicains. Cette règle ne fut approuvée qu’en 1405, par le Pape Innocent VII. Certaines confréries voulurent alors rester indépendantes ou finirent par le redevenir par la suite.

 

- Les autres Tiers Ordres. Bien d'autres Tiers-Ordres sont issus de diverses communautés religieuses ou ordre religieux. Ils se subdivisèrent souvent en deux types : les tertiaires réguliers  vivant comme des communautés monastiques mais sans prononcer de vœux [24] et les tertiaires séculiers formant des fraternités vivant dans le monde, sous la tutelle spirituelle et juridique d'un ordre religieux. Ces derniers devinrent parfois indépendants et formèrent ultérieurement des confréries de Pénitents.

À la fin du XIV° et au XV° siècle, à la suite des crises morales, politiques et démographiques, de nombreuses Confrèries se transformèrent profondément. De plus elles furent fortement influencées par les évolutions spirituelles contemporaines. Pour celles qui subsitèrent, au moins en nom, à l'époque moderne, la principale difficulté reste d'établir la nature exacte du lien qui les unissait aux structure médiévales qui les ont précédées. Beaucoup pensent aujourd'hui que ces différences furent si importantes que l'on doit considérer que les structures qui se mettent en place au XVI° siècle sont originales et ne se ratachent pas directement à celles du Moyen-âge, même si elles en reprennent certaines traditions. La faiblesse des sources ne fait que renforcer cette problématique.


 

[18]    K. Schmid, J. Wollasch Societas et Fraternitas

[22]    Bulle Solet annuere.

[23]    A. Gérhards Dictionnaire historique des ordres religieux

[24]    ls pouvaient donc librement quitter leurétat quasi monastique. Cette distinction juridique préserva certaines sodalités, et notamment les confrérie de Pénitents en 1880 lors des lois dipersant les congrégations.

 

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