FICHE SUR LA NOTION DE LAIC DANS L'EGLISE

 

 

I LE CONTEXTE

I.1 LA DISTINCTION ENTRE APÔTRES ET FIDÈLES AUX TEMPS APOSTOLIQUES

Selon la doctrine de l’Église catholique, le clergé fut institué par Jésus-Christ lui-même qui établit une distinction entre ses fidèles : d’une part l’ensemble du peuple qui le suivait, hommes et femmes, les laïcs et d’autre part les douze Apôtres, considérés comme les premiers évêques. Ces derniers ordonnèrent leurs successeurs, qui eux-mêmes firent de même, et ce jusqu’aux évêques contemporains. Ainsi le sacrement de l’ordre fut transmis directement du Christ aux Apôtres, puis des Apôtres à la succession des évêques. Mais tous, laïcs et évêques, étaient unis au sein de l’Église : « par la conjonction des deux ordres [les clercs et les laïcs] et leur amour mutuel, une unique maison de Dieu s’édifie, un unique corps du Christ se réalise » [1].

Les douze Apôtres étaient tous des hommes et aucun ne se maria, c’est le fondement de la position de l’Église d’Occident sur le mariage des prêtres et l’impossibilité d’ordonner des femmes. En revanche certains étaient mariés avant de rencontrer Jésus mais laissèrent leurs familles pour le suivre (il est généralement admis qu’ils étaient veufs et sans charge d’enfants à ce moment-là), aussi les Orthodoxes et certaines Églises d’Orient acceptent-elles l’ordination d’hommes mariés, mais toutes refusent, et ont toujours refusé, que des prêtres puissent se marier.

 

I.2 CLERCS, RELIGIEUX ET LAÏCS DURANT LES PREMIERS SIÈCLES

Durant les premiers siècles de l’Église, au temps des persécutions, l’évêque était à la fois l’évangélisateur, celui qui transmet l’enseignement du Christ, et celui qui réactualise [2] le Saint Sacrifice du Christ. C’est l’image du peuple des baptisés groupés et unis autour de chaque évêque. Puis avec la multiplication des fidèles convertis au christianisme, les évêques ne suffirent plus et ils ordonnèrent des prêtres pouvant célébrer l’Eucharistie et enseigner afin de les seconder. Toutefois n’ayant pas la plénitude du sacrement de l’ordre, ces derniers restaient liés et soumis aux évêques. C’est ainsi que la structure du clergé catholique que nous connaissons encore aujourd’hui se mit en place dès le III° siècle, c’est-à-dire dès que les conditions matérielles le permirent. Cette hiérarchie, dans laquelle on entre par la tonsure, compte 8 ordres cléricaux, étapes obligatoires pour être ordonné prêtre : 4 ordres mineurs liés au service d’autel : Portier, Lecteur, Exorciste, Acolyte et 4 ordres majeurs obligeant au célibat (en Occident) : Sous-diacre, Diacre, Prêtre, Évêque. Ces 8 ordres formèrent l’ensemble des clercs chargés, chacun à son niveau, d’enseigner et de guider l’ensemble du peuple de Dieu.

L’état monastique fut lui aussi institué aux temps apostoliques. La première communauté féminine prit naissance après la Passion et la Pentecôte, autour de la Sainte Vierge retirée avec de Saintes femmes. Les premières traces de communautés monastiques masculines sont contemporaines, et se retrouvent dans les actes des Apôtres. Il y est fait mention des premières mises en commun des biens, base de la vie monastique : « Toute la multitude de ceux qui croyaient n’avait qu’un cœur et qu’une âme et nul ne considérait ce qu’il possédait comme étant à lui ; mais toutes choses étaient communes entre eux. Les apôtres rendaient témoignage avec une grande force à la résurrection de Notre Seigneur Jésus Christ, et une grande grâce était en tous. Et il n’y avait aucun pauvre parmi eux, parce que tous ceux qui possédaient des terres ou des maisons les vendaient, et en apportait le prix, qu’ils déposaient aux pieds des apôtres ; et on le distribuait ensuite à chacun selon qu’il en avait besoin. » (Actes des Apôtres 4, 32-25). Bien entendu il ne s’agit pas d’un monachisme structuré et séparé du monde qui n’apparaîtra que vers le IV° siècle.

Durant les trois premiers siècles de l’histoire de l’Église, les répressions antichrétiennes marquées par les procès et l’exécution d’une multitude de martyrs alternait avec des périodes de paix relative et d’indifférence de l’administration impériale. Ainsi il n’y avait pas de bâtiments à usage exclusif d’église et les premiers chrétiens se réunissaient dans des maisons particulières dont les plus grandes pièces servaient pour les eucharisties. Il ne fut pas non plus possible d’adopter une organisation adaptée au nombre toujours croissant de fidèles. Cette impossibilité et la difficulté pour les évêques de se rencontrer, favorisèrent aussi les dérives théologiques et les divisions. Chaque groupe était en effet uni face à l’hostilité des autorités, mais était souvent dans l’impossibilité de communiquer avec les autres communautés chrétiennes. Cela expliquera en partie les affrontements dogmatiques des siècles qui suivirent. Déjà aux temps apostoliques, Saint Paul se désolait que la discorde et la division se soient glissées au milieu des chrétiens.

Après les terribles persécutions ordonnées par Dioclétien et Maximien à la charnière des III° et IV° siècles, les chrétiens vécurent comme une véritable délivrance l’arrêt des persécutions. Elles furent officialisées en 313 par l’édit de Milan [4]. Les chrétiens étaient très reconnaissants à Constantin le Grand de cette politique de tolérance et acceptèrent l’autorité de l’Empereur, qui de son côté n’intervint pas directement dans les différents débats dogmatiques entre les évêques, sauf si cela constituait un facteur de désordre ou de division pour la paix de l’Empire. Il se contenta de convoquer et de proclamer les décisions des différents conciles, loin du césaropapisme des Empereurs byzantins du VI° siècle. Grâce à ce nouvel équilibre, l’Église put enfin adopter une structure adaptée et plus stable. Elle prit naturellement pour modèle l’organisation de l’administration romaine. Ainsi la distinction entre clercs et laïques devint officielle. En 380 [5] cette distinction prit une nouvelle dimension, sociale et politique, avec l’édit de Thessalonique, qui proclama le christianisme, tel que défini par le concile Nicée, comme religion officielle de l’Empire. Aussi, dès le IV° siècle les évêques se préoccupèrent-ils de créer des maisons autour des cathédrales pour abriter les miséreux et les malades. Toutefois ce fut surtout la christianisation du peuple qui requit leurs efforts envers les laïcs. En effet la persistance de l’ancienne religion romaine et la présence de plus en plus importante de populations d’origine germanique favorisèrent la survie de croyances païennes. Parmi les chrétiens, il y avait aussi des divisions profondes entre d’une part les Nicéens, qui suivaient les décisions du Concile de Nicée approuvées par les Papes, et d’autre part les homéens ou ceux qui suivaient les thèses issues du néoarianisme. Durant le V° siècle, la pars occidentalis de l’Empire vécut une lente la dissolution des structures de l’état romain, sanctionnée en 476 par la déposition du dernier Empereur d’Occident Romulus Augustule. Les Évêques se trouvèrent alors souvent seuls face aux conquérants germains.

 

 

I.3 LES TRANSFORMATIONS DE L’ÉGLISEDURANT LE HAUT MOYEN-ÂGE

Dans ce contexte de profonde mutation politique et sociale, le monachisme connut un fort développement en occident au VI° siècle. Ainsi le pape Saint Grégoire le Grand put distinguer trois ordres de fidèles : les pasteurs, aussi appelés recteurs ou docteurs car ils encadrent et instruisent les laïcs ; les continents, personne dont l’engagement religieux comprend l’abstention de relations sexuelles ; et les conjugati [les gens mariés]. Il mit en relation ses trois ordres avec différents extraits des Évangiles [6] : « les hommes seront surpris à l’heure du Jugement dernier : au champ [l’action pastorale] pour les clercs, au lit [la contemplation pour les religieux] et au moulin [travail manuel] pour les laïcs. ». À cette époque peu de moines étaient ordonnés prêtres.

 

Toutefois si dans le Regnum Francorum, du VII° siècle et plus tardivement dans la péninsule italique, l'ensemble de la population était baptisée[7], le peuple n'avait souvent qu'une connaissance superficielle du contenu de la foi, surtout en dehors des centres urbains. Une nouvelle tâche  s'imposait donc à l'Église : convertir en profondeur la masse des baptisés. Selon A. Vauchez[8] : « Le souci qui domine dans les œuvres des prélats des VIII° - X° siècles est en effet de rejoindre les fidèles dans leur situation concrète, en définissant leurs devoirs de chrétiens dans le cadre de traités spécifiques à chaque état de vie, appelés specula (miroirs [9]) ». Cette période vit aussi la mise en place d'une forme de condominium [souveraineté conjointe] entre le Pape et les nouveaux repésentants du pouvoir politique en Occident, les Empereurs carolingiens[10] : Dans le condominium, le souverain est entouré d’une brillante élite de dignitaires laïcs et de prélats qui exaltent sa fonction, le soutiennent et prient pour la réussite de sa politique. Le souverain, comparé au roi David, en plus de son rôle traditionnel, promulgue des capitulaires afin de réformer le clergé et intervient sur des questions liturgiques ou théologiques. Tous collaborent ainsi pour conduire au salut le peuple de Dieu, le nouvel Israël. Mais, dès la fin du IX° siècle, les luttes internes et les invasions scandinaves entraînèrent l’effondrement des structures de l’état carolingien laissant la place aux pouvoirs de nouveaux souverains et de potentats locaux. Mais ces transformations eurent aussi des conséquences sur l’Église lorsque des seigneurs laïcs voulurent nommer des clercs plus en fonction de leurs intérêts privés que de la valeur spirituelle des candidats. Ils espéraient ainsi contrôler l’ensemble de leur territoire, y compris d’un point de vue religieux. Ce phénomène prit rapidement de l’ampleur jusqu’à toucher des supérieurs d’abbayes, des évêques et même des papes. En conséquence la simonie [11], le nicolaïsme [12] et les hérésies se répandirent largement dans les rangs d’un clergé prisonniers des luttes d’influence des grands féodaux.

 

En réaction contre ses abus, dès le X°siècle, lesmoines, et plus particulièrement les clunisiens, promurent le retrait du monde, par une séparation stricte des trois ordres et la prééminence des clercs et plus encore celle des moines : « Parmi les chrétiens des deux sexes, nous savons qu’il existe trois ordres et pour ainsi dire trois degrés. Bien qu’aucun des trois ne soit exempt de péché, le premier est bon, le second meilleur, le troisième excellent […] Le premier est celui des laïcs, le second celui des clercs, le troisième celui des moines » [13]. Même si cette hiérarchie ne faisait pas l’unanimité, les Papes, s’appuyant sur ces moines, mirent en place à partir de 1049 la réforme grégorienne [14], retour à la vertu des clercs des premiers siècles de l’Église [15]. Le spirituel devait primer sur le temporel, aucun clerc ne devait plus être nommé ou dépendre directement d’un laïc, c’est la querelle des Investitures [16]. Des normes liturgiques et canoniques communes furent aussi imposées à l’Église universelle. Mais la reformatio concernait aussi les laïcs appelés à plus de moralité, les Évêques étaient appelés à encourager et à vérifier la bonne tenue des prédications en langue vernaculaire dans leur diocèse et à prêcher eux-mêmes le plus souvent possible. Il était aussi rappelé aux laïcs de renoncer aux mariages incestueux. Ils devaient en outre chercher à faire régner la paix entre les chrétiens. S. Gouguenheim termine ainsi son livre sur la réforme grégorienne : « Les conceptions grégoriennes relèvent d’un littéralisme évangélique appliqué à tous les domaines de la vie de l’Église » [17].

 

 

 


[1]    Walafrid Strabon De quarumdam ecclesiasticarum rerum exordiis et incrementis [Origines et développements de quelques usages de l'Église], 841.

[2]    Le terme de réactualiser est ici utilisé au sens fort, le sacrifice du Christ est physiquement renouvellé lors de chaque eucharistie.

[3]    La traductions de la Bible retenues est celle des chanoines Bourrassé et Janvier, fréquement utilisées dans la Confréries.

[4]    Couramment appelé édit de Milan, il s'agit en réalité d'une lettre circulaire publiée par l'Empereur d'Occident Constantin (l'unité de l'Empire ne sera rétablie qu'en 324) et reprise sous forme de rescrit par l'Emprereur d'Orient Lucinius. La liberté de culte était en effet accordée à toutes les religions et les chrétiens n'étaient plus tenus de vénérer l'Empereur en tant que dieu.

[5]    Il est proclammé à Thessalonique par Théodose Ier, qui régnait alors sur l'Orient (il ne règnera sur l'ensemble de l'Empire qu'en 394 et pour un an seulement, c'est le dernier Empereur à régner sur l'ensemble des territoires romains). Gratien, Empereur d'Occident, reprend et proclame le même texte et transfère alors son titre de Pontifex Maximus [Souverain Pontife de la Religion Romaine], au Pape Damase Ier.

[6]    Saint Grégoire citant Saint Luc 17, 34-36 ; Mt 24, 40-41

[7]    À l'exception de la communauté juive et des populations germaines nouvellement conquises.

[8]    in Les laïcs au Moyen-Âge entre ecclésiologie et histoire

[9]    Nous retrouverons cette signification du mot miroir dans le Miroir du Pénitent blanc, publié à Vienne 1646.

[10]    Il s'agit en fait d'une nouvelle application de la doctrine des deux glaives, l'un spirituel aux main de l'Église l'autre temporel aux mains de l'Empereur, formulée en 496 par le Pape Gélase Ier

[11]    La simonie est le commerce des biens spirituels, et en particulier des sacrements. Son nom provient de Simon le Magicien qui voulut acheter à Saint Pierre son pouvoir de faire des miracles. L'apôtre lui répondit : « Que ton argent périsse avec toi, puisque tu as cru que le don de Dieu s’acquérait à prix d’argent ! » (Actes des apôtres, VIII.9-21)

[12]    Le nicolaïsme, ou clérigamie, désigne l'incontinence (mariage, concubinage, etc.) des clercs astreints au célibat.

[13]    in Acta sanctorum ordinis Sanci Benedicti, recueil des écrits de Saint Abbon de Fleury, (v.945-1004).

[14]    Du nom du Pape Grégoire VII (v.1015-1085) qui en fut une des principaux artisans en tant que conseiller des Papes Léon IX, Nicolas II, Alexandre II, puis directement sous son pontificat. Cette réforme s'achèvera avec Urbain II.

[15]    C'est le véritable sens du mot réforme, de reformare, le retour à une situation antérieure pervertie par des abus.

[16]  C'est par la cérémonie féodale de l'Investiture, purement laïque, que ces prêtres, Abbés ou Évêques étaient nommés.

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